A ceux qui prétendent que le facteur ethnique est négligeable dans les rapports entre populations, l’actualité apporte un cinglant démenti avec ce qui se passe au Kenya. Même Le Monde – c’est dire ! – est obligé de titrer en première page (2 janvier 2008) : « Le Kenya s’enfonce dans la violence interethnique ». Est considérée comme particulièrement inquiétante, à l’échelle internationale, « la multiplication d’affrontements interethniques dans un pays jusqu’ici considéré comme un pôle de stabilité et un exemple de développement économique prometteur ».
Le Kenya est le pays le plus important d’Afrique de l’Est. Ancienne colonie de la Grande-Bretagne (jusqu’en 1963), le Kenya avait jusqu’à présent la réputation d’être une oasis de stabilité (taux de croissance de 6,1 % en 2006) au sein d’une Afrique orientale très instable, du fait de conflits ethniques, multiséculaires, qui ont repris plus fortement que jamais à partir de la fin de l’ère coloniale (les Britanniques étant des gens réalistes savaient parfaitement, à la différence des Français aveuglés par leurs a priori idéologiques, que les confrontations ethniques sont depuis toujours la clé du théâtre africain). Du port kenyan de Mombasa, sur la côte de l’océan Indien, part une route qui est une artère vitale pour les pays de la région des Grands Lacs, du Rwanda à l’est du Kongo-Kinshasa et jusqu’au sud du Soudan. Par cette route transite une bonne partie du ravitaillement de ces régions (en Ouganda, le manque de carburant paralyse déjà le transport aérien). Or cette route est coupée par des barrages.
Le Kenya, dont la population est composée de 70 ethnies tribales, est aujourd’hui un terrain d’affrontement entre deux puissantes ethnies, les Kikuyu – l’ethnie du président Kibaki, qui vient d’être réélu dans des conditions douteuses (fraude électorale) – et les Luo, l’ethnie de Raiula Odinga, rival de Kibaki et qui affirme, en tant que victime de tricheries, être le vrai vainqueur des élections… Le Monde, bon gré mal gré, est obligé de reconnaître la réalité d’une guerre ethnique : « Dans plus de la moitié du Kenya, notamment dans l’Ouest, où les routes sont coupées depuis plusieurs jours, les émeutes ne mettent pas seulement aux prises forces de sécurité et opposants frustrés par les élections, mais se compliquent d’interactions entre rivalités ethniques et politiques, laissant planer la menace d’une conflagration majeure ».
Et le quotidien des bourgeois branchés doit admettre, la mort dans l’âme, que le phénomène ethnique est récurrent : « L’adhésion politique, dans le pays, est souvent dépourvue de base idéologique, mais repose sur l’appartenance d’un leader à une communauté. Avant le scrutin, 39 % d’électeurs avaient admis, dans un sondage, qu’ils choisissaient leur candidat sur une base purement ethnique » (comme toujours dans ce type de sondage, le pourcentage réel doit être beaucoup plus élevé). Déjà, en 1997, l’ex-président Daniel Arap Moi, appartenant à l’ethnie Kalenjin, avait orchestré une vague de violences contre l’ethnie kikuyu.
A la date où j’écris ces lignes (jeudi 3 janvier 2008) il y a déjà plusieurs centaines de morts. Au moins 35 personnes, appartenant à l’ethnie kikuyu, réfugiées dans une église, ont été brûlées vives par de très jeunes gens appartenant à une ethnie rivale : « preuve est faite, se lamente Le Monde, que les troubles mêlent ethnies et politique, jusqu’à l’horreur ». Eh oui, pauvres jobards, malgré toutes vos rêveries droitsdel’hommistes, les réalités ethniques sont têtues…
La méconnaissance absolue des réalités africaines et, donc, des impératifs ethniques, est illustrée par la pantalonnade de l’Arche de Zoé. Les gogos s’apitoient, à grand renfort de jérémiades, sur le sort des zozos embringués dans cette affaire. Alors que ces gens ont commis une faute impardonnable : se mêler d’affaires africaines, avec une arrogance typiquement occidentale, alors qu’ils ne connaissent rien à l’Afrique. C’est ce qu’exprime avec force Bernard Lugan (cet universitaire africaniste connaît, lui, très bien, ce continent complexe) dans des propos confiés à La Nouvelle Revue d’Histoire (n° 34, janvier-février 2008, à lire absolument), au sujet des apprentis sorciers de l’Arche de Zoé : « Au nom des bons sentiments, ils se sont immiscés avec une scandaleuse arrogance dans des rapports sociaux complexes dont ils ignoraient tout et n’ont rien voulu connaître ». Les « humanitaires » occidentaux, qui prétendaient vouloir sauver des orphelins (leurs motivations réelles restant opaques) sont apparus, à juste titre, comme des voleurs d’enfants. L’explication, simple, est donnée par Bernard Lugan : « L’individu n’existe pas en Afrique. Il est indissolublement lié à son lignage par un réseau complexe de solidarités et de dépendances dont il n’est pas question pour lui de s’extraire. Plus généralement, l’organisation sociale africaine est communautaire. Elle est fondée sur la famille élargie. Dans ce type de société, l’enfant est à la fois le rejeton du couple et du groupe. Il ne peut y avoir d’orphelins au sens occidental du mot. Un enfant qui perd son père et sa mère est tout naturellement pris en charge par une tante, un oncle, un grand-père, des cousins, un grand frère déjà marié ou par tout autre membre du lignage ou du clan ». Les Européens sont, hélas, incapables de comprendre cela car ils ont perdu tout sens d’appartenance et de solidarité communautaires ethniques.
Ajoutons que cette affaire a été, pour les Africains, une bonne occasion de régler quelques comptes raciaux avec ces Blancs qu’ils haïssent et envient : une avocate des gens de l’Arche de Zoé, après le verdict qui a frappé ses clients, a eu ce mot de vérité : « Ils ont été condamnés parce qu’ils étaient Blancs ». Cette déclaration, lâchée sur les ondes de France-Info, a été censurée dans les minutes qui ont suivi et n’a pas été repassée (alors que France-Info diffuse en boucle). Surtout, ne parlons pas de choses qui fâchent…
Quant au Darfour, dont les soubresauts ont été invoqués par les gens de l’Arche de Zoé comme justification de leur bizarre entreprise, cette région occidentale du Soudan, aussi vaste que la France, est – tout comme le Tchad voisin – le terrain d’une guerre « ethnique, raciale et politique ». Car, explique Bernard Lugan (toujours lui !), « elle oppose des tribus dites « arabes » à des tribus africaines noires ou d’origine berbère. Les premières soutiennent le pouvoir central soudanais, les secondes le combattent ».
Comme quoi, si on s’intéresse au labyrinthe africain et qu’on ne veut pas mourir idiot, il faut lire Lugan.
Pierre VialLe quotidien italien de grande réputation Corriere Della Sera publie dans sa version en ligne sur Internet du 30 novembre la prise de position de l’ancien chef d’Etat italien Francesco Cossiga, selon laquelle le fait que les « attaques » du 11 septembre 2001 sur les tours du World Trade Center à New York ont été mises en scène par les services secrets américains et du Proche-Orient, était et est connu de tous les services secrets dans le monde.
Cossiga fut, de 1983 jusqu’à son élection comme Président de la République, président du Sénat italien. Il passait pour honnête et incorruptible, cela pendant toute la période de ses mandats jusqu’en 1992, ce qui lui valut le respect, même de ses opposants politiques. Il fut contraint de se retirer parce qu’il avait provoqué l’hostilité de l’Establishment politique et de l’OTAN en rendant publique l’existence de l’« Opération Gladio » et son rôle dans cette organisation. Les révélations de Cossiga avaient provoqué une enquête parlementaire en 2000 sur les activités de Gladio en Italie. Il en ressortit que les services secrets américains et de l’OTAN avaient mené des activités de terreur « sous faux drapeaux », causant de nombreuses victimes parmi la population civile. L’objectif fut alors de mettre sur le dos de groupes de gauche les actes de terreur, afin d’exciter la colère contre les communistes et de pouvoir exiger plus de moyens de la part de l’Etat.
Cossiga commente la plus grande duperie de l’histoire envers les populations du monde, toujours selon l’article du Corriere Della Sera, ainsi : « On nous fait croire que Bin Laden aurait avoué l’attaque du 11 septembre 2001 sur les deux tours à New York – alors qu’en fait les services secrets américains et européens savent parfaitement que cette attaque désastreuse fut planifiée et exécutée par la CIA et le Mossad, dans le but d’accuser les pays arabes de terrorisme et de pouvoir ainsi attaquer l’Irak et l’Afghanistan. »
Cossiga avait déjà en 2001 mis en doute la théorie officielle de complot, propagée par l’administration Bush, et mis l’accent sur le fait que l’attaque n’aurait pu avoir lieu sans l’infiltration du personnel des systèmes radar et de la sécurité aérienne américains. Les spécialistes de la construction mettent le doigt sur le fait que la symétrie et la chronologie de l’effrondrement des tours n’a pu avoir lieu qu’à l’aide d’explosifs, l’incendie ne pouvant pas être à l’origine de ce drame.
Il est remarquable que ce journal très apprécié cite actuellement les dires de ce chef d’Etat hautement respecté ; cela enlève toute crédibilité à la prétention qu’il s’agit d’exagérations d’une théorie de complot. Il semble qu’on veuille plus fermement attirer l’attention des politiciens de haut niveau en Europe sur le fait que rien ne peut justifier leur soumission envers les Etats-Unis, en ce qui concerne les massacres de populations et les guerres d’agression, y compris la prétendue « Opération liberté immuable » (« Operation Enduring Freedom ») et qu’il s’agit d’un crime contre l’humanité – avec toutes ses conséquences personnelles, comme l’avaient montré les procès de Nuremberg.
Traduit de l'anglais (Australie) par Nathanael Genet
Des nations puissantes menacent la Serbie. Cette dernière, appuyée par la Russie, ignore les ultimatums. La guerre éclate. Tel fut le scénario qui se produisit durant l'été 1914, lorsque le monde plongea dans la guerre qui devait "arrêter toutes les guerres". Près d'un siècle plus tard, la situation est incroyablement similaire.
Malgré les menaces pour qu'elle accepte l'indépendance du Kosovo, Belgrade tient bon. Les forces armées serbes sont parées à retenir la province par la force si nécesaire. La Russie a promis un soutien à la Serbie.
Si la guerre s'ensuit, il ne fait pas de doutes que les gouvernements occidentaux en feront porter la responsabilité sur la Serbie, pour ne s'être pas soumise. Mais cela procéderait d'un jugement inéquitable.
La crise actuelle sur la question du Kosovo a été causée, non pas tant en raison d'une intransigeance serbe, mais par la politique d'intervention des occidentaux dans les affaires intérieures d'Etats souverains, qui, depuis plus d'une décennie, a causé le chaos, non seulement dans les balkans, mais tout autour du globe.
Il y a dix ans, le Kosovo était relativement en paix. Les aspirations indépendantistes des kosovars transitaient au travers de la Ligue démocratique, le parti pacifique de Ibrahim Rugova, alors que les maigres forces paramilitaires albanaises qui existaient déjà étaient isolées et jouissaient d'un faible soutien dans l'opinion publique kosovare.
Selon un rapport de l'agence Jane's intelligence datant de 1996, l'armée de libération du Kosovo (UCK), la faction la plus extrême des groupes paramilitaires, ne prenait pas en considération l'importance politique ou économique de ses victimes, ni ne semblait en état de nuire à son ennemi.
La force militaire de l'UCK était loin de faire le poids en terme de puissance militaire. Aussi tard qu'en novembre 1997, l'UCK était encore classifiée comme organisation terroriste par les Etats-Unis, et ne pouvait, comme cela a été estimé, mobiliser guère plus de 200 hommes.
Soudainement, effectuant un revirement stratégique dont les répercussions se font encore sentir aujourd'hui, l'Occident se mirent à interférer. Les Etats-Unis, l'Allemagne et la Grande-Bretagne commencèrent de plus en plus à considérer l'UCK comme une force qui pourrait permettre d'atteindre l'objectif de déstabiliser voire renverser le régime d'un Slobodan Milosevic qui ne semblait guère incliné à intégrer les structures euro-atlantiques.
Dans l'année qui suivit, le statut de l'UCK évolua considérablement. L'UCK fut retirée de la liste établie par le Département d'Etat américain des organisations considérées comme "terroristes" et, à l'instar des Mujahidin en Afghanistan une décennie auparavant, ses membres commencèrent à être qualifiés de "combattants de la liberté".
Une assistance de grande ampleur fut accordée à l'UCK par les forces militaires occidentales. Les britanniques organisèrent des camps d'entrainement sercrets dans le Nord de l'Albanie. Les services secrets allemands fournirent des uniformes et des instructeurs.
En Grande-Bretagne, le Sunday Times publia un rapport citant des agents des services secrets américains qui admettaient avoir aidé à l'entrainement de l'UCK avant les bombardements de l'OTAN contre la Yougoslavie. Dans le même temps, la Ligue démocratique de Rugova - qui était favorable à des négociations avec Belgrade - fut purement et simplement écartée.
Lorsque la campagne de violence de l'UCK, qui était dirigée non seulement contre les officiels yougoslaves mais également contre les civils serbes et les albanais qui ne partageaient pas leur agenda extrêmiste, provoqua une riposte de Belgrade, britanniques et américains étaient fins prêts à lancer des ultimatums.
Durant la campagne de bombardement de 79 jours menée par l'OTAN qui s'ensuivit, les occidentaux firent des promesses d'indépendance à l'UCK, des promesses qui les rattrapent aujourd'hui.
Reconnaître l'indépendance du Kosovo fera sortir la Serbie de l'orbite occidentale, tout en provoquant de sérieux risques de guerre. Et cela créera un précédent car, si les droits à l'autodétermination sont reconnus aux albanais du Kosovo, qu'en sera-t'il des serbes de Bosnie qui souhaitent de leur côté le rattachement à la Serbie?
En revanche, effectuer un virage à 180 degrés et tenter de retarder l'indépendance fait désormais courir le risque de violences provoquées par la majorité albanaise du Kosovo. C'est la quadrature du cercle, du fait des seuls occidentaux.
Sans l'ingérence de ces derniers dans les affaires yougoslaves il y a dix ans, la Ligue démocratique kosovare et le gouvernement de Belgrade seraient probablement parvenus à un compromis pacifique. L'objectif de Rugova était l'indépendance du Kosovo, mais pas sans l'accord de toutes les parties en présence.
Ce qui est certain, c'est que sans l'ingérence occidentale, l'UCK n'aurait jamais eu le poids qu'elle finît par atteindre.
En soutenant la faction la plus dure du Kosovo, l'Occident a non seulement précipité la guerre, mais aussi rendu le "casse-tête" du Kosovo encore plus difficile à résoudre.
Il est ironique de constater que pour les interventionnistes les plus convaincus, l'action occidentale au Kosovo continue d'être perçue comme un grand succès. C'est au plus fort de la campagne de bombardement de l'OTAN contre la Yougoslavie en 1999 que le Premier ministre britannique de l'époque, Tony Blair, fit son fameux discours, à Chicago, dans lequel il présentait sa doctrine de communauté internationale.
Blair défendait l'idée que le principe de non ingérence dans les affaires d'Etats souverains - considéré depuis des lustres comme un principe clé de l'ordre international - devait être soumis à révision. "Je vous le dit : ne vous arrêtez pas à la doctrine de l'isolationnisme" plaida-t'il.
Mais après avoir jeté un oeil au débris d'une décennie d'ingérence occidentale aux quatre coins du globe, des Balkans à l'Afghanistan et l'Irak, est-il suprenant que l'isolationnisme et l'observation des principes de non interférence dans les affaires d'Etats souverains soient si séduisants?
Neil Clark est un contributeur régulier du "The Spectator" et "The Guardian" en Grande-Bretagne, et enseigne les relations internationales à l'Oxford Tutorial College.
http://www.theaustralian.news.com.au/story/0,25197,22966948-7583,00.html
Repris (en anglais) sur :
http://www.kosovocompromise.com/cms/item/analysis/en.html?view=story&id=412§ionId=2