Dans un rapport attendu, les experts de l'Agence de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail estiment que, si rien n'est encore prouvé, des interrogations subsistent sur les effets des portables, wifi, antennes...
Ce devait être le rapport arbitre, celui qui, après une première phase du Grenelle des ondes un peu vite expédiée au printemps dernier, devait faire le point sur ce que la science sait ou non de la possible dangerosité des ondes. Et donner une assise au débat en France, alors que les acteurs se sont jusqu'ici opposés à coups d'études contradictoires.
L'Agence de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), chargée de la tâche en 2007, a mis fin au suspens ce matin. Deux ans de travail, des dizaines de sujets abordés (portables, wifi, antennes, radars, micro-ondes, radios, télévision...), 3500 études scientifiques passées au crible par une batterie d'experts venus de la médecine, de la biophysique mais aussi des sciences humaines, et au final, un pavé de 465 pages qui ne mettra pas tout le monde d'accord mais devrait permettre d'y voir un peu plus clair. (Télécharger l'avis de l'Afsset en pdf ici, l'intégralité du rapport sur le site de l'Afsset)
Que dit le rapport ? D'abord, comme on pouvait s'y attendre, que l'on manque encore de recherches poussées pour conclure quoi que ce soit dans un sens ou dans l'autre. Prudence, donc. L'Afsset confirme toutefois que les radiofréquences ont des «effets indéniables sur le fonctionnement des cellules». Sans en déduire formellement que les radiofréquences sont dangereuses pour la santé : «On ne connaît pas encore les mécanismes d'action entre les radiofréquences et les cellules pour des niveaux non thermiques», c'est-à-dire pour les niveaux d'exposition qui n'entraînent pas une augmentation de la température corporelle.
«Pas de niveau de preuve suffisant»
Pour faire court, «on a des signaux sanitaires mais pas de preuves suffisantes», a résumé ce matin le directeur de l'Afsset, Martin Guespereau. Des «signaux sanitaires» car si une majorité des études ne relèvent pas d'effets des ondes... un petit nombre en constate. Et comme «la science, ce n'est jamais au poids», ainsi que l'a rappelé Martin Guespereau, le risque n'est pas exclu.
Par exemple, plusieurs des études examinées montrent des effets biologiques sur la production de protéine de stress, la mort programmée de la cellule ou son mécanisme de division. Mais avec des incertitudes quant à un effet pathologique. De même, certaines études suggèrent une augmentation du risque de tumeur cérébrale (gliome) après plus de dix ans d'utilisation du portable, ou du risque de lymphomes chez des militaires exposés à des radars. Là encore, «on a des interrogations mais pas de niveau de preuve suffisant pour conclure à un risque cancérogène avéré».
Un «ni tout noir ni tout blanc» suffisant, du point de vue de l'Afsset, pour suggérer «l'usage modéré des technologies sans fil» et appeler à la réduction des expositions. «N'attendons pas d'avoir des réponses définitives pour agir. Il faut réduire autant que possible les émissions non nécessaires, c'est un principe de bon sens et c'est à notre portée.»
«Ne pas perdre de temps pour la recherche»
D'abord en informant «de manière intelligible» les consommateurs pour qu'ils puissent prendre une habitude «très efficace»: choisir un DAS bas quand ils achètent un téléphone. Le DAS étant le débit d'absorption spécifique, autrement dit le degré d'absorption biologique des ondes. Or, à qualité de réception équivalente, cet indicateur varie en France de 1 à 10 suivant les portables (de 0,2 W/kg à 1,8 W/kg). L'Afsset suggère donc de mettre en place une échelle, comme pour l'électroménager.
Ensuite, «on ne peut pas ne rien faire sur les antennes», affirme l'Afsset, qui appelle les opérateurs à mutualiser leurs antennes. Faut-il aussi multiplier les antennes-relais sur le territoire pour en baisser le taux d'émission, une option très débattue? L'Agence n'y est pas hostile. Certes, note-t-elle, les niveaux d'exposition étant beaucoup plus élevés du fait des téléphones portables que des antennes, réduire la puissance des antennes pourrait augmenter l'exposition aux radiofréquences émises par les mobiles. Mais d'un autre côté, cela bénéficierait à la partie de la population qui ne vit pas le portable collé à l'oreille, à commencer par les jeunes enfants.
Troisième recommandation, dresser un «plan de surveillance», une cartographie des points de forte concentration des ondes sur le territoire, «indispensable pour booster la recherche» – la carte des antennes, elle, est consultable sur le site de l'Agence nationale des fréquences. Enfin et surtout, «ne pas perdre de temps pour la recherche».
«Double rupture»
Son rapport livré, l'Afsset passe le relais aux ministres de l'Environnement et de la Santé: «On a voulu casser le statu quo, maintenant il faut faire quelque chose.» Même message, en plus véhément, du côté des associations Priartem et Agir pour l'environnement, qui militent pour un abaissement des seuils d'émission et ont été associées à l'intégralité des travaux en qualité d'observateurs. Sorties dépitées du Grenelle des ondes, elles ont salué la «double rupture» que marque selon elles le rapport de l'Afsset : «La reconnaissance du risque et l'affirmation très claire qu'il faut baisser les seuils d'exposition.»
Et en appellent au gouvernement et aux parlementaires pour «mettre en œuvre le principe de précaution» à la faveur de l'examen, en ce moment au Sénat, du Grenelle II: «C'est le moment ou jamais de prendre des amendements en ce sens», presse Stephen Kerckhove, d'Agir pour l'environnement.
Libération